Page 1 : Là où se rencontrent les vies.
Là où se rejoignent les vies.
Elle était seule, je me rappelle, les genoux repliés comme son corps, comme pour devenir de pierre. Elle regardait les immeubles, elle paraissait culminer Paris dans son ensemble sur son petit toit. Elle était seule, je me rappelle, et quand je me suis assis à côté d’elle, je l’ai sentie se crisper. Comme si je prenais une partie de sa solitude pour me l’appliquer. J’ai senti le vide, les larmes qui étaient en elle et je n’ai rien pu faire. Je laissais ses yeux guider les miens et j’admirais comme elle les immeubles qui nous entouraient. Chaque parcelle de son être m’attirait, je ne la connaissais pas et pourtant, je savais qu’elle était quelqu’un d’extraordinaire et de blessé à l’âme. J’essayais de lui donner une partie de mon bonheur en échange de sa solitude, à travers quelques sourires et regards chaleureux. Mais elle ne bougeait pas, ne me regardait pas. Elle paraissait ignorer ma présence, comme si tout autour d’elle était flou. Elle paraissait sortir d’un monde parallèle, où les femmes sont belles et les hommes monstrueux. Là où tous les blessés graves se rejoignent pour former la ronde des maudits de l’amour. Je lisais en elle comme dans un livre et les pages étaient de plus en plus noires au fur et à mesure qu’avançait l’histoire. Elle ne bougeait toujours pas, ses doigts blanchissant à force d’être crispés sur ses jambes. Sa peau était pâle, comme si le soleil touchait le reste du monde, sauf elle. Je savais qu’elle passait ses journées ici, à regarder le monde tourner et pourtant, le temps n’avait aucun impact sur elle. Ses cheveux étaient ternes et sans couleur précise, formant des nœuds chaotiques sur sa tête. Son visage était creux, sous l’effet d’une alimentation plus qu’optionnelle. Ses yeux n’avaient plus de couleur, ils étaient d’un noir profond, ravagés par les larmes et la tristesse. Son visage était droit, sans expression. Il paraissait ordinaire à cet instant, alors que je devinais que ses traits devaient être désirables un an auparavant. Elle m’empêchait de lire ce qu’il s’était passé dans son cœur, ce qui l’avait à ce point ravagée. J’essayais de forcer le passage, mais elle avait construit un mur autour d’elle. La carapace physique que formaient ses jambes contre son corps était devenue mentale et elle me projetait hors de son esprit. Je pouvais bien réunir une armée, je sais qu’elle était devenue inébranlable. Je rendis donc les armes à la frontière de son esprit et me contentais de regarder dans la même direction qu’elle. Je m’attendais à voir à chaque toit des immeubles une fille comme elle, seule et triste, se mêlant à la grisaille de la ville. Comme si son cas était une généralité. Je n’en pouvais plus de ce silence, je voulais lui faire partager le bonheur de la vie, je voulais la faire revivre dans mes paroles.
« Comment t’appelles-tu ? »
Entrée en matière simple. Trop simple. Elle ne tourna même pas la tête dans ma direction, resta fixée sur la vue où elle se perdait depuis tout à l’heure. Je me mordis la lèvre inférieure et continuai mon monologue :
« Oui, tu as raison, les prénoms ne sont qu’un mot donné pour nous désigner alors qu’ils ne le peuvent jamais réellement. On peut très bien s’en passer. Je suis désolé d’être venu m’imposer dans ta solitude mais je t’ai vue et je n’ai pas pu résister. Je n’aurais pas dû, j’aurais dû te laisser mais voilà, j’en étais incapable. Je ne sais même pas pourquoi je te parle en cet instant, surtout que j’ai l’impression de me cogner contre un mur. Mes paroles me reviennent en écho, comme si tu n’étais que le vide. Tu as le visage le plus ordinaire du monde quand on ne te connaît pas et moi, je sais que tu es loin d’être ordinaire. En tout cas, tu ne l’étais pas avant. Avant quoi, je ne sais pas, tu ne me laisses pas savoir. Parle, les paroles sont un baume incroyable pour le cœur tu sais. Pourquoi j’ai cette impression de te connaître mieux que moi-même, je ne sais pas. Tu m’as déboussolé, tu as remué ma boussole pour qu’elle me montre la mauvaise direction. Voudrais-tu que je me perde avec toi alors que j’étais celui qui pouvait te faire retrouver le bon chemin ? Veux-tu rester marcher sur ces sentiers battus, à nous faire nous aventurer dans des contrées sauvages et inconnues ? Tu veux notre perte mais moi, je ne me perdrais pas avec toi. Tu m’entends ?
Elle ne tourna toujours pas sa tête dans ma direction, se contentant de mettre un doigt sur ses lèvres, m’ordonnant silencieusement de me taire. Ce que je fis, perturbé devant tant d’indifférence. Comme si chaque parole que j’avais dite s’était perdue avant d’arriver à elle. Envolés les beaux mots ravageurs.