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J'ai bien peur.
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7 février 2009

Page 3 : Là où se rencontrent les vies.

- J’étais une femme à hommes, celle qui ne désirait rien, qui se laissait séduire et qui se plaisait à briser les cœurs à répétition. Une étudiante en lettres, brisée par la musique et qui est finalement venue sur ce toit, décidée à prendre son envol depuis un an mais qui n’a jamais réussi à le prendre. J’étais l’enfant de la Liberté et elle m’a rejetée. Elle m’a faite prisonnière de moi-même, me punissant de ma débauche, me maudissant. Mais je me suis toujours promis de revenir auprès d’elle, de la plus misérable des façons, rampant pour me faire pardonner. Et toi, qui étais-tu ?
Je regardais mes chaussures, l’écoutant se décrire de la façon dont je l’imaginais. Je relevai la tête et murmurais-je :
- Moi, je me contentais d’être un de ces passants pressés, guidé par les montres et la société, courant contre le temps. Je ne vivais que pour ma réussite professionnelle, j’ai négligé mes amis, mes connaissances, ma famille pour elle. Tu étais l’enfant de la Liberté, j’étais l’enfant de la Réussite. Et Dieu seul sait que c’est la première fois que je goûte à la Liberté. C’est bon de sentir le vent caresser vos cheveux, se souciant peu de souffler à Paris ou ailleurs, c’est bon de se sentir en vie. J’ai parfois du mal à croire que c’est là que tu te laisses mourir alors que c’est le seul endroit où l’on peut vivre. »
Elle voulait sourire, je le sentais mais elle avait perdu le mode d’emploi. Soudainement, elle s’écria :
« Il faut que j’immortalise ton existence. Comme pour les autres. »
Je la vis relever la manche de son t-shirt et elle me demanda :
« Comment t’appelles-tu ?
- Gabriel…
- Comme un ange. » Murmura-t-elle.
Elle sortit un couteau de sa poche et avant que je puisse l’arrêter, elle traça un G, dépassant toutes les autres initiales immortalisées sur son bras. Il y en avait plus d’une vingtaine, des lettres perdues sur un morceau de peau, se mélangeant, se confondant, pour ne plus former qu’un. J’essayais d’attraper son bras, de caresser sa blessure afin de l’atténuer mais elle m’évita agilement et me dit sèchement :
« Ne te mêle pas de ça. Laisse la colombe se brûler les ailes et devenir un corbeau. Je serais le repas du Diable mais s’il-te-plaît bel ange, laisse-moi me détruire. »
Elle parlait bien plus que jamais je n’avais pu le faire, elle avait les bons mots avec moi et j’avais mal de me sentir obligé d’obéir à ses désirs, car elle savait y faire. Elle avait les mots pour me décider, pour m’empêcher de batailler contre moi-même. Comme personne n’avait réussi.
« Je n’ai pas la force de me rebeller contre toi. Je ne te connais pas et pourtant, tu sais comment me dompter. Je resterais tant que tu ne me diras pas de partir. » Déclarai-je à mi-voix, honteux des mots qui sortaient de ma bouche.
Elle ne répondit pas, occupée à tracer le A qui suivait le G sur son bras. Je m’allongeai sur le toit et regardai le ciel. Mon esprit et ma raison me quittèrent à cet instant. Les nuages formaient des dessins dans mon esprit et j’hurlais ce qu’ils m’invoquaient, comme si nous étions seuls au monde. Je m’échappais comme jamais je n’avais pu le faire, les yeux brillants. Elle mourrait, je vivais. Comme si sa vie s’échappait pour remplir la mienne. A chaque goutte de sang qui coulait de son bras meurtri par les coups de couteau répété qu’elle lui donnait, je sentais la Liberté et la Vie m’envahir, me faisant presque étouffer de bonheur. Je n’avais plus pied dans la Réalité, je flottais comme un ballon abandonné au gré du vent. Et sa Vie s’échappait, par gouttes de sang dégoulinant de son bras. Le B. J’entendais ses larmes, son désespoir et sa douleur. Mais je n’y faisais plus attention, comme si elle avait voulu m’anesthésier en m’envoyant rêver ailleurs, hors de la Réalité. D’ailleurs, je crois que je lui en veux encore pour ça. Elle aurait dû me laisser vivre avec elle, que je comprenne qui elle était vraiment. Le R. J’étais dans un bonheur euphorique, mais je faisais tout pour m’en dépêtrer, comme un nageur retenu sous l’eau, suffoquant, voulant hurler, battant des pieds avec hargne pour survivre. Je me battais comme un héros, voulant lui parler, lui dire de ne réaliser aucun de ces desseins suicidaires. Le I. La bataille faisait rage dans mon esprit. Le E. Je perdais le contrôle. Le L. Ou peut-être ne l’avais-je jamais eu ?

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