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J'ai bien peur.
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7 février 2009

Page 2 : Là où se rencontrent les vies.

- Tu vois les grilles là-bas ? Murmura-t-elle.
Sa voix était rauque et douce à la fois, on sentait l’hésitation qui pointait dedans, comme une non-habitude à l’utilisation des mots.
- C’est là-bas que je veux être enterrée. Tu leur diras, à tous ces gens qui veulent décider pour nous, tu leur diras que tu es mon frère et que tu sais ce que je veux. Aucune preuve ne te sera demandée, je le sais, ils s’en foutent. Ils prennent un cadavre et l’enterrent sans état d’âme, comme si l’humain dont le cœur cognait si fortement dans la poitrine n’était devenue qu’un objet inanimé, une ordure parmi tant d’autres. Que ce soit à un endroit ou à un autre, par la volonté de Dieu ou du plus parfait inconnu, ça ne change rien pour eux. Faux magiciens de la mort, ils font disparaître les cadavres sous terre comme d’autres font disparaître des lapins dans des chapeaux. Maintenant, reste encore un peu avec moi, explique-moi ce qu’est le bonheur, je ne me rappelle plus. La compagnie d’un être cher, fais-moi vivre ça, un peu. »
Je ne répondis pas, je n’avais rien à répondre. Elle desserra les doigts de ses jambes, permettant au sang de circuler à nouveau. Comme si elle se sentait plus en sécurité maintenant que j’étais là. Je suivis à nouveau ses yeux et ils fixaient un autre point. La terrasse d’un café, où une petite fille jouait avec une poupée, où un couple riait, les yeux brillants d’amour. Son visage restait aussi inexpressif qu’avant mais ses yeux semblaient pleurer sans eau.  Les souvenirs heurtaient son cœur de plein fouet, le faisant gémir. Je sentais chaque sentiment qui la traversait comme si un lien quelconque existait entre nous. Elle serra les lèvres et attrapa ma main dans un sursaut. Je sentais chaque parcelle de sa douleur et je la supportais, pour l’aider un peu plus. Elle planta ses longs ongles dans ma paume et je ne dis rien. Elle se mit à respirer calmement quand mes paumes se mirent à saigner. Elle regarda ma main, s’excusant et s’affolant en voyant le sang qui tombait sur mon bras en gouttes rouges. Je déchirai une partie de mon t-shirt et bandai ma main, lui répétant que ce n’était rien et que si j’avais ressenti la douleur, je l’aurais arrêtée. Elle reporta son regard sur la petite fille de la terrasse et me dit, d’une voix plus assurée qu’auparavant :
« Un jour, j’ai été cette petite fille, insouciante et simplement heureuse. Heureuse de vivre, d’être avec les gens qui m’avaient conçue. D’entendre leur rire quand ils voyaient mon sourire, quand ils écoutaient mes paroles sans queue ni tête. Tu sais, je crois qu’on ne sait vivre que lorsqu’on est enfant. On ne soucie de rien, on pleure parfois, un peu sans raison, mais la douleur s’estompe rapidement avec un petit rien, une marque d’amour de ses parents. J’aimerais savoir ce qu’ils sont devenus, le couple qui m’a conçu. Ca fait trois ans que je suis partie. Pour la grande vie, la ville, la réussite. Finalement, je finis sur un toit, espérant devenir la colombe de la paix, prenant son envol pour la liberté éternelle. »
Je gardais le silence, regardant la rue en-dessous de nous, les gens pressés qui marchaient en bousculant les autres, comme si dans le monde de la vie, il fallait toujours être arrivé le premier. Machine infernale à laquelle personne ne voulait adhérer mais qu’on finissait par suivre, entraînés par le courant. J’ai eu si peur que ma colombe les rejoigne, à sa façon si originale, en prenant son envol infernal, les ailes encore blessées. J’ai voulu la prendre dans mes bras, guérir chaque blessure et la relâcher au monde entier. La protéger au début et laisser l’oiseau devenir libre. Elle aurait volé pour moi, je le sais.
« Je prendrais mon envol. Dans pas longtemps, j’aurais ma liberté tant désirée. Grâce à toi. J’aimerais te remercier, un jour. On se retrouvera, je te promets. »
Elle ne dit que ça et ces paroles me suffirent. Comme un baume appliqué sur mon cœur encore blessé de sa douleur. Je lui demandais :
« Qui étais-tu avant?
Elle regarda les passants d’un air faussement intéressé, et finit par répondre :
- J’étais tout. Tout ce qu’on aurait voulu être. Un chat sauvage, parcourant les rues sans se soucier des autres. Celle sur qui on se retournait sans en être conscient, tellement ce geste paraissait naturel. La beauté sombre, celle qui était faite pour faire souffrir et non pour être librement admirée. Parfois, je m’arrêtais devant le tatoueur et je me faisais tatouer les initiales de chacune de mes conquêtes.

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